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Ma belle amie est morte :
Je pleurerai toujours,
Sous la tombe elle emporte
Mon âme et mes amours.
Dans le ciel, sans m'attendre,
Elle s'en retourna.
L'ange qui l'emmena
Ne voulut pas me prendre.
Que mon sort est amer !
Ah ! Sans amour s'en aller sur la mer !

La blanche créature
Est couchée au cercueil.
Comme dans la nature
Tout me paraît en deuil !
La colombe oubliée
Pleure et songe à l'absent.
Mon âme pleure et sent
Qu'elle est dépareillée.
Que mon sort est amer !
Ah ! Sans amour s'en aller sur la mer !

Sur moi la nuit immense
S'étend comme un linceul.
Je chante ma romance
Que le ciel entend seul.
Ah ! Comme elle était belle
Et comme je l'aimais !
Je n'aimerai jamais
Une femme autant qu'elle.
Que mon sort est amer !
Ah ! Sans amour s'en aller sur la mer !
Ah !


Théophile Gautier - "Sur les lagunes"

Connaissez-vous la blanche tombe
Où flotte avec un son plaintif
L'ombre d'un if ?
Sur l'if, une pâle colombe,
Triste et seule, au soleil couchant,
Chante son chant :

Un air maladivement tendre,
A la fois charmant et fatal,
Qui vous fait mal,
Et qu'on voudrait toujours entendre,
Un air, comme en soupire aux cieux
L'ange amoureux.

On dirait que l'âme éveillée
Pleure sous terre à l'unisson
De la chanson,
Et du malheur d'être oubliée
Se plaint dans un roucoulement
Bien doucement.

Sur les ailes de la musique
On sent lentement revenir
Un souvenir :
Une ombre, une forme angélique
Passe dans un rayon tremblant,
En voile blanc.

Les belles de nuit, demi-closes,
Jettent leur parfum faible et doux
Autour de vous,
Et le fantôme aux molles poses
Murmure en vous tendant les bras :
"Tu reviendras !"

Oh ! Jamais plus, près de la tombe,
Je n'irai quand descend le soir
Au manteau noir,
Ecouter la pâle colombe
Chanter sur la pointe de l'if
Son chant plaintif !


Théophile Gautier - "Au cimetière"