< 02 >


L'hiver a cessé, la lumière est tiède
Et danse, du sol au firmament clair,
Il faut que le coeur le plus triste cède
A l'immense joie éparse dans l'air.

J'ai depuis un an le printemps dans l'âme,
Et le vert retour du doux floréal,
Ainsi qu'une flamme entoure une flamme,
Met de l'idéal sur mon idéal.

Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L'immuable azur où rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne,
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.

Que vienne l'Eté ! Que viennent encore
L'Automne et l'Hiver ! Et chaque saison
Me sera charmante, ô toi, que décore
Cette fantaisie et cette raison !

- Paul Verlaine -

 

 

A la très chère, à la très belle
Qui remplit mon coeur de clarté,
A l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !

Elle se répand dans ma vie
Comme un air imprégné de sel,
Et dans mon âme inassouvie
Verse le goût de l'éternel.

Comment, amour incorruptible,
T'exprimer avec vérité ?
Grain de musc qui gis, invisible,
Au fond de mon éternité !

A la très bonne, à la très belle,
Qui fait ma joie et ma santé,
A l'ange, à l'idole immortelle,
Salut en l'immortalité !

Charles Baudelaire - "Hymne"

 

 

Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal :

«Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite ?»
Sois charmante et tais-toi ! Mon cœur, que tout irrite,
Excepté la candeur de l'antique animal,
Ne veut pas te montrer son secret infernal,
Berceuse dont la main aux longs sommeils m'invite,
Ni sa noire légende avec la flamme écrite.

Je hais la passion et l'esprit me fait mal !

Aimons-nous doucement. L'Amour dans sa guérite,
Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal.
Je connais les engins de son vieil arsenal :
Crime, horreur et folie ! O pâle marguerite !
Comme moi n'es-tu pas un soleil automnal,
O ma si blanche, ô ma froide Marguerite ?

Charles Baudelaire - "Sonnet d'automne "

 

 

Vous êtes un beau ciel d'automne, clair et rose !
Mais la tristesse en moi monte comme la mer,
Et laisse, en refluant, sur ma lèvre morose
Le souvenir cuisant de son limon amer.

Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon cœur, les bêtes l'ont mangé.

Mon cœur est un palais flétri par la cohue ;
On s'y soûle, on s'y tue, on s'y prend aux cheveux !
Un parfum nage autour de votre gorge nue !...

O Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux !
Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes,
Calcine ces lambeaux qu'ont épargné les bêtes !

Charles Baudelaire - "Causerie"