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J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
 Que les soleils marins teignaient de mille feux,
  Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
   Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Les houles, en roulant les images des cieux,
 Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
  Les tout-puissants accords de leur riche musique
   Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux...
C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes
 Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs,
  Et des esclaves nus tout imprégnés d'odeurs
  Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes,
 Et dont l'unique soin était d'approfondir
Le secret douloureux qui me faisait languir.

Charles Baudelaire - "La vie antérieure"

 

 

Agite, bon cheval ta crinière fuyante
Que l'air autour de nous se remplisse de voix
Que j'entende craquer sous ta corne bruyante
Le gravier des ruisseaux et les débris des bois.

Aux vapeurs de tes flancs mêle ta chaude haleine
Aux éclairs de tes pieds ton écume et ton sang
Cours comme on voit un aigle en effleurant la pleine
Fouetter l'herbe d'un vol sonore et frémissant.

Allons ! Les jeunes gens, à la nage, à la nage,
Crie  à ses cavaliers le vieux chef de tribu,
Et les fils du désert respirent le pillage,
Et les chevaux sont fous du grand air qu'ils ont bu.

Nage ainsi dans l'espace ô mon cheval rapide,
Abreuve-moi d'air pur, baigne-moi dans le vent,
L'étrier bat ton ventre, et j'ai lâché la bride,
Mon corps te touche à peine, il vole en te suivant.

Brise tout, le buisson, la barrière ou la branche,
Torrents, fossés, talus, franchis tout d'un seul bond,
Cours. Je rêve et sur toi, les yeux clos je me penche,
Emporte, emporte-moi dans l'inconnu profond !

Sully Prudhomme - "Le galop"