Paul Verlaine « C’est l’extase langoureuse »
C’est l’extase langoureuse,
C’est la fatigue amoureuse,
C’est tous les frissons des bois
Parmi l’étreinte des brises.
C’est, vers les ramures grises,
Le chœur des petites voix.
à” le frêle et frais murmure,
Cela gazouille et susurre,
Cela ressemble au cri doux
Que l’herbe agitée expire.
Tu dirais sous l’eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.
Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante,
C’est la nôtre, n’est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne
Dont s’exhale l’humble antienne,
Par ce tiède soir, tout bas ?
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Paul Verlaine « Donc ce sera par un clair jour d’été »
Donc ce sera par un clair jour d’été.
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera parmi le satin et la soie
Plus belle encore votre beauté ;
Le ciel tout bleu, comme une haute tente
Frissonnera somptueux, à longs plis,
Sur nos deux fronts qu’auront pâlis
L’émotion du bonheur et l’attente ;
Et quand le soir viendra, l’air sera doux
Qui se jouera, caressant, dans vos voiles,
Et les regards paisibles des étoiles
Bienveillamment souriront aux époux !
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Paul Verlaine « Le piano que baise une main »
Le piano que baise une main frêle
Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu’avec un très léger bruit d’aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant
Rôde discret, épeuré quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumé d’Elle.
Qu’est-ce que c’est que ce berceau soudain
Qui lentement dorlote mon pauvre être ?
Que voudrais-tu de moi, doux chant badin ?
Qu’as-tu voulu, fin refrain incertain
Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre
Ouverte un peu sur le petit jardin ?
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Paul Verlaine « Il faut, voyez-vous… »
Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses
De cette façon nous serons bien heureuses
Et si notre vie a des instants moroses,
Du moins nous serons, n’est-ce pas ? deux pleureuses.
à” que nous mêlions, âmes sœurs que nous sommes,
à€ nos vœux confus la douceur puérile
De cheminer loin des femmes et des hommes,
Dans le frais oubli de ce qui nous exile !
Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles
Éprises de rien et de tout étonnées
Qui s’en vont pâlir sous les chastes charmilles
Sans même savoir qu’elles sont pardonnées.
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Paul Verlaine « L’hiver a cessé »
L’hiver a cessé, la lumière est tiède
Et danse, du sol au firmament clair,
Il faut que le cœur le plus triste cède
A l’immense joie éparse dans l’air.
J’ai depuis un an le printemps dans l’âme,
Et le vert retour du doux floréal,
Ainsi qu’une flamme entoure une flamme,
Met de l’idéal sur mon idéal.
Le ciel bleu prolonge, exhausse et couronne
L’immuable azur où rit mon amour.
La saison est belle et ma part est bonne,
Et tous mes espoirs ont enfin leur tour.
Que vienne l’Été ! Que viennent encore
L’Automne et l’Hiver ! Et chaque saison
Me sera charmante, ô toi, que décore
Cette fantaisie et cette raison !
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Paul Verlaine « L’espoir luit comme un brin de paille »
L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.
Que crains-tu de la guêpe ivre de son vol fou ?
Vois, le soleil toujours poudroie à quelques trous.
Que ne t’endormais-tu, le coude sur la table ?
Pauvre âme pâle, au moins cette eau du puits glacé,
Bois-la. Puis dors après. Allons, tu vois, je reste,
Et je dorloterai les rêves de ta sieste,
Et tu chantonneras comme un enfant bercé.
Midi sonne. De grâce, éloignez-vous, madame.
Il dort. C’est étonnant comme les pas de femme
Résonnent au cerveau des pauvres malheureux.
Midi sonne. J’ai fait arroser dans la chambre.
Va, dors ! L’espoir luit comme un caillou dans un creux.
Ah, quand refleuriront les roses de Septembre !
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